Le séminaire – Dan Docherty
Ainsi donc, le voilà, ce célèbre visage qu’on voit dans les magazines, ce visage qui ne fait pas honneur aux photos qui accompagnent ses articles. Cela fait des années qu’on lit des choses sur lui, qu’on regarde ses vidéos, et voici que le verbe s’est fait chair. On est à son séminaire. Il est chinois; il est japonais; il est irlandais; il est philippin. Il enseigne le karaté, le kali, le tai-chi, le qi-gong.
Qu’est, ou que doit être un séminaire? Y a-t-il quelque chose (et si oui qu’est-ce) qui le distingue d’une séance ordinaire d’entraînement?
Au début des années soixante-dix, avant que les séminaires en viennent à exister dans cette bonne vieille ville de Glasgow, il y avait le cours de karaté. Génial. On annonçait que tel grand maître japonais du shokotan venait nous enseigner. On payait à l’avance, bien sûr, et quelquefois il daignait même se pointer. On paradait, faisant des combinaisons de blocage, de coup de coude, de coup de poing et de revers. D’autres fois, naturellement, son emploi du temps serré ne lui permettait d’apparaître que juste à temps pour recevoir l’argent, mais on comprenait. Après tout, nous n’étions que des êtres abjects et insignifiants. Lui, c’était un dieu.
En quoi est-ce que cela différait d’un entraînement ordinaire? Eh bien, on recevait un peu plus de coups que d’habitude et il parlait moins que notre prof habituel. Mais on savait que parce qu’il était japonais, on était vraiment en train d’apprendre quelque chose.
Puis vint le jour où ni lui, ni ses assistants ne furent plus disponibles. Alors notre prof fit venir Yashinao Nanbu. On savait qu’il ne pouvait pas être un vrai maître japonais, parce qu’il ne nous frappait pas, parce qu’il nous enseignait des techniques avancées, parce qu’il était enjoué et courtois, parce qu’il expliquait les choses et parce qu’il nous laissait poser des questions. Pas étonnant que beaucoup de nos anciens aient eu de sérieuses réserves à propos de M. Nanbu.
Doran, notre ancien prof de karaté, nous a raconté la fois où il était allé à Londres pour assister à un cours donné par Masutatsu Oyama. Ils ont passé une heure à travailler le blocage intérieur. Ma foi, c’est un moyen comme un autre d’impressionner les élèves.
Au cours des années qui ont suivi, j’ai vu beaucoup de profs à l’oeuvre. Certains enseignent trop peu et trop lentement. D’autres enseignent beaucoup trop de choses et beaucoup trop rapidement. D’autres encore sont des perfectionnistes dans un monde qui n’est pas parfait. D’autres enfin croient que le meilleur moyen d’enseigner, c’est de convaincre les élèves qu’on sait absolument tout sur tout. Bien sûr, la plupart des élèves en sont déjà convaincus dès lors qu’il s’agit de leur propre prof.
Le terme « séminaire » est issu du jargon académique, le même jargon qui a fourni l’appellation de « professeur » de jiu-jitsu ou de karaté. Je crois me souvenir qu’à l’époque où j’étudiais à l’université de Glasgow le séminaire désignait une rencontre relativement informelle entre enseignant et étudiants, au cours de laquelle chacun de nous présentait ses idées ou son exposé sur un sujet d’étude. Je me demande combien de « séminaires » dirigés par mes éminents confrères spécialistes d’arts martiaux correspondent à cette définition.
Je pense que dans un séminaire d’arts martiaux, il faut avoir un certain équilibre. Cela ne sert pas à grand-chose de surcharger les élèves de dizaines de techniques compliquées et de leur dire que c’est comme cela qu’on apprend les « concepts ». Il y a tout aussi peu d’intérêt à présenter un exposé aux élèves. La technique correcte d’enseignement exige, non seulement qu’on transmette une information, mais aussi qu’on s’assure que cette information est comprise et mise en pratique. Pour cela, il est nécessaire que le professeur accepte les questions et qu’à son tour il questionne ou teste l’élève pour voir si ce qu’il a enseigné a été correctement compris.
Je me souviens qu’à l’époque où je passais un diplôme de troisième cycle en chinois à Ealing College, l’un des étudiants inscrits au même séminaire que moi avait beaucoup de mal avec le texte sur la « Longue marche » sur lequel on planchait. En fin de compte, après trois semaines d’une lutte inégale, Patrick a avoué à M. Tang que ce texte n’avait ni queue ni tête pour lui. On a compris par la suite que si Patrick lisait bien le texte chinois de haut en bas, il le lisait aussi de gauche à droite, plutôt que de droite à gauche. Pour Patrick, le chinois représentait véritablement une longue marche. Les Patrick ne manquent pas dans le monde des arts martiaux.
A un cours normal, la plupart des profs et des élèves se contentent de s’entraîner, et il n’y a pas assez de temps pour couvrir les techniques et les concepts en profondeur. Dans les arts martiaux chinois tel que le tai-chi, il y a l’idée d’un enseignement devant et derrière la porte. Nombre de choses que mon maître m’a apprises, comme les Six Mots Secrets du tai-chi chuan, étaient des choses qu’il n’enseignait à aucun cours, mais sur une base individuelle, derrière la porte. Il est très difficile d’enseigner ce genre de choses à un cours normal. Il y a les étudiants stupides ou paresseux qui ne comprennent pas. Il y a aussi les gens intelligents mais désagréables, ceux à qui le prof ne meurt pas d’envie d’enseigner.
Mon maître n’a donné son premier séminaire (dans le vrai sens du terme) qu’en 1981, c’est-à-dire après avoir passé plus de quarante ans dans le milieu des arts martiaux. Pourquoi? Eh bien, cela ne se faisait pas. Autrefois, les gens allaient trouver un maître, ou l’invitaient à passer une période donnée en leur compagnie. Et puis, à cette époque, les gens ordinaires étaient plus conservateurs et moins désireux ou capables de voyager qu’à présent. Les séminaires que mon maître a faits par la suite se sont avérés très utiles pour couvrir ce qu’on savait déjà, mais en le creusant bien davantage. Ils nous ont également permis d’acquérir un arrière-plan certain aux techniques d’initiés.
Tout le monde ne peut pas se permettre de passer dix ans en Extrême Orient et d’apprendre le chinois. Le temps et la distance empêchent tout un chacun d’avoir accès à un enseignement spécialisé. Et pourtant beaucoup de ceux qui souffrent de ces limitations souhaitent étudier le tai-chi en profondeur et dans tous ses aspects.
J’ai commencé à faire mes premiers séminaires en 1986. A présent, j’en fais des dizaines chaque année. Cela me donne un accès direct à des élèves de seconde et de troisième génération en Grande-Bretagne, comme à l’étranger. Cela me permet aussi de revoir régulièrement leurs professeurs et d’améliorer leur niveau. Et puis, cela donne aux élèves qui pour une raison ou une autre ne peuvent pas assister à mes cours la possibilité de s’entraîner avec moi.
Beaucoup sont devenus mes élèves après avoir assisté à un séminaire. Certains se perdent en chemin, d’autres poursuivent et deviennent des instructeurs confirmés qui à leur tour transmettent l’art.
Combien d’élèves parmi ceux qui assistent à un séminaire considèrent qu’un professeur est devenu le leur après un seul séminaire? Combien de professeurs considèrent qu’un participant à un séminaire est devenu leur élève? Je ne suis pas sûr que les nombres correspondent de part et d’autre. Je me souviens du récit que m’a un jour fait Ian Cameron à propos de cette élève relativement novice à lui qui, après avoir assisté à un séminaire de notre maître à tous les deux, était partie aux Etats-Unis en se présentant comme l’unique disciple féminine que Cheng Tin-Hung ait jamais eue. Pour la féminité, au moins, elle disait la vérité.
Les séminaires sont également devenus un moyen d’entrer en contact avec d’autres instructeurs et d’autres styles. Cela fait à présent un certain nombre d’années que je vais faire des séminaires dans des clubs de karaté et de jiu-jitsu en Scandinavie. Nombre d’instructeurs participant à ces séminaires ont également invité d’autres instructeurs étrangers, des gens comme George Dillman ou Joe Lewis, pas tant pour apprendre leur art que pour écouter ce qu’ils ont à dire.
Combien cela devrait-il coûter? Un prof de ma connaissance enseigne un mouvement de qi gong par week-end, pour environ £90. Au moins, on ne pourra pas l’accuser de ne pas être exhaustif.
Récemment, la fédération britannique du tai-chi a mis sur pied des séminaires conjoints de poussée des mains, avec jusqu’à six instructeurs venant de styles différents qui enseignent autant d’approches différentes. Ces séminaires ont rencontré un grand succès, auprès des membres, comme auprès de gens extérieurs, abolissant par là même un grand nombre de barrières. Tout le monde ne peut pas ou ne veut pas prendre part aux compétitions, de sorte qu’un séminaire peut être une bonne occasion de rencontrer d’autres professeurs et de s’entraîner avec des gens de l’extérieur.
Traduction de l’anglais de Ladan Niayesh