Mes ennemis

wdngfrnc_newlogo Mes ennemis – Dan Docherty

Neuf ans de service dans la  » Royal Hong Kong Police Force « , à traiter tous les jours avec le mal, le vice, les gens stupides aussi bien que les gros malins, les sadiques et les psychopathes (et eux, ces n’étaient encore que mes collègues les policiers !) : tout cela m’a donné un mental de criminel.

Voila la raison. Voila pourquoi je peux le lire sur vos visages. Je le vois dans vos yeux. Je sais que vous essayez de le cacher. Mais c’est évident dans chacun de vos gestes. Vous êtes toujours d’accord avec ce que je dis, ce que j’écris, ce que je fais. Mais pendant tout ce temps vous observez. Pendant tout ce temps vous attendez le bon moment.

Vous me voyez monter dans ma Jaguar, vêtu de mon costume Armani. Vous lisez des choses sur mon style de vie de  » Jet-set « , sur mes contacts avec les élites culturelles et intellectuelles de divers pays du monde. Ce devrait être vous dans cette voiture, dans cet avion ; mais ce n’est pas le cas. Pour vous, la vie est injuste.

Le premier à me mettre en garde contre des gens comme vous, ce fut un des mes oncles dans le tai chi, en Malaisie, il y a de cela plus longtemps que je ne voudrais m’en rappeler. Il m’a dit :  » Vos élèves sont vos ennemis « .

Mon Sifu m’a averti lui aussi. Il m’a dit qu’en tant que professeur de Tai Chi, j’aurais deux types d’ennemis : externes et internes. De ces deux groupes, le plus dangereux est celui des ennemis internes, parce qu’ils sont proches. Certains cachent bien leur jeu, et ne font surface qu’après de nombreuses années. D’autres sont plus évidents, d’abord en faisant de petites manoeuvres, et après en osant de plus en plus.

De façon générale, les élèves peuvent être classés en quatre groupes. Normalement, il existe un noyau dur des fidèles, et puis il y a l’élève  » normal « , qui vient aux cours de Tai Chi comme il irait au ciné. Troisièmement, il y a les  » touristes « , les gens venant d’autres styles qui (malgré votre personnalité peu engageante) sont venus pour apprendre vos spécialités, ou bien pour pouvoir dire  » ça ? j’en ai fait, oui « . Cela ce n’est rien que du business, au moins dans un premier temps ; et puis, finalement, il y a les intrigant et les provocateurs.

Je ne crois pas que tous ces gens soient mes ennemis tout le temps, mais je me rends bien compte qu’ils ne sont pas tous mes amis tout le temps non plus. Dans le Livre de la Voie et de la Vertu (Tao Te Ching), Lao Tzu nous conseille :

 » Utilise la vérité pour gouverner l’Etat,
Utilise le mystère dans le déploiement des troupes,
N’utilise aucune chose pour obtenir tout sous les cieux « .

et aussi :

 » Plus il y a de lois et de décrets visibles,
Et plus nous avons des voleurs et des rebelles « .

Il est très important d’être honnête envers vos élèves, mais cela ne veut pas dire que vous devez tout leur dire. Ne faites pas la mouche du coche. Ne créez pas des rebelles en essayant de forcer ce qui ne peut pas être forcé. Et pourtant, même si vous suivez ces conseils excellents, vous aurez des ennemis.

Bon, d’accord, vous êtes le grand Maître ; que peuvent faire ces petits gens pour vous blesser ? Ils peuvent vous calomnier et vous conspirer derrière votre dos, ils peuvent vous voler vos idées et vos méthodes en les présentant comme les leurs. Ils peuvent semer la zizanie entre vous et d’autres professeurs par leurs paroles ou leurs gestes inconsidérés. Ils peuvent blesser ou tromper d’autres élèves, parfois avec les meilleures des intentions, et ils peuvent aussi donner l’impression que votre kung-fu est nul parce que leur propre niveau est tellement bas.

De tous les bandits et les terroristes qui ont contrôlé la Chine, Mao était le plus doué dans l’identification et la destruction de ses ennemis. Un de ses coups les plus brillants c’était la  » Campagne des Cent Fleurs  » qu’il a inaugurée avec l’invitation à  » laisser cent fleurs s’épanouir ; laisser cent écoles de pensée se confronter « . Certains se firent duper en laissant leur trop grand désir de liberté, si longtemps contenu, s’épancher dans un torrent de mémoires, de peintures et d’adresses publiques.

Cela satisfaisait aux deux buts de Mao. D’un côté, cela lui permettait d’utiliser les masses pour attaquer ses ennemis bien connu à l’intérieur du parti communiste, et de l’autre côté, cela lui donnait la possibilité, au moyen de cette liberté d’expression, d’identifier les ennemis sous la surface, et d’utiliser leurs propres paroles contre eux.

C’est une caractéristique de la psyché chinoise de ne pas seulement punir ses ennemis, mais aussi de leur faire admettre leur culpabilité et, par une critique de masse suivi par une autocritique, de les  » ré-éduquer « . C’est quelque chose qui n’est pas non plus totalement inconnu non plus dans la communauté des arts martiaux en Grande-Bretagne.

Parfois vos amis peuvent vous causer bien plus de problèmes que vos ennemis. L’idéale littéraire d’une bande de frères dévoués agissant en union harmonieuse pour ce qu’ils croient être le bien commun a atteint son sommet vers la fin de la dynastie Han. Nous rencontrons cette conception dans un roman classique de la littérature chinoise : la  » Romance des Trois Royaumes « .

Ce livre raconte l’histoire des célèbres guerriers Kuan Gung et Chang Fei, qui avaient juré leur loyauté envers un certain Liu Pei. Cette décision imprudente a entraîné des milliers de morts, y compris la leur, ainsi que des années de misère et de guerre pour le peuple chinois. Et tout cela pour satisfaire à l’ambition mal placée de leur maître, Liu Pei. De la même façon, dans les arts martiaux, de nombreux élèves font preuve d’une loyauté inutile dans le but de promouvoir l’ambition machiavélique et tordue de leurs maîtres.

La structure traditionaliste des groupements dans les arts martiaux chinois est bien connue de la plupart des lecteurs. Le professeur est appellé le  » Sifu « , le père enseignant, un nom qui intègre également des nuances taoïstes. Les élèves entre eux sont des frères et des sœurs, aînés ou cadets. C’est une structure qui se trouve tout à fait dans la tradition confucéenne et l’on s’attend à ce que tout le monde connaisse sa place dans la hierarchie qui devient pour la plupart comme une deuxième famille.

Eh bien, cela, c’est l’idéal. La réalité, d’après mes propres expériences, c’est que parfois vos frères et sœurs, rongés par la jalousie, vont raconter des histoires à votre Sifu à propos de tous vos péchés et vont créer des problèmes. Je me souviens bien d’une occasion pareille il y a plusieurs années de cela, à Hong Kong, quand mon Sifu était en train de montrer quelques techniques de lutte. Certains de mes frères m’ont encouragé à le défier au combat. J’ai refusé car aucun de nous deux n’avait rien à prouver ni à gagner dans une telle rencontre.

Si vous voulez vraiment devenir l’ami de votre Sifu vous devez être prêt à le conseiller et parfois même lui tenir tête et soutenir ce que vous croyez juste. J’ai connu souvent des fortes disputes avec mon maître. Parfois c’est lui qui a eu gain de cause, parfois c’est moi ; mais à chaque occasion, on a dit chacun tout ce qu’on avait sur le coeur.

En tant que professeurs de Tai Chi, nous devrions juger nos élèves plutôt sur leurs actes que sur leurs paroles. Et puis les gens peuvent changer avec le temps, pour le meilleur ou pour le pire, et nous devons donc adapter nos jugements sans cesse. Troisièmement, nous devrions accorder à nos élèves autant de liberté que possible ; par exemple, s’ils souhaitent également s’entraîner chez d’autres professeurs, dans d’autres styles, il faut les laisser faire : car si vous la leur interdisez, ils le feront quand même.

Si vous êtes correct avec les gens, il se peut même qu’ils deviendront vos amis, ou pour le moins qu’ils ne deviennent pas vos ennemis. En revanche, si vous n’êtes pas correct avec les gens c’est certain qu’ils ne deviendront pas vos amis et il est tout a fait probable qu’ils deviendront vos ennemis.

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